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Intégration Post-Soviétique : Le poids de Moscou




A la chute de l’URSS, les dirigeants russes ne pensaient pas que l'effondrement de leur ancien Empire durerait. Ils étaient persuadés que la CEI ne serait qu’une organisation intermédiaire entre la fin de l’URSS et quelque chose d’autre. Si cela a pris des décennies, leur rêve semble devenir réalité avec la création de l’UEE. Certains commentateurs ont d’ailleurs remarqué que l’UEE s’inscrit dans un discours officiel russe qu’on pourrait qualifier de “réunioniste”. Selon le traditionnel pragmatisme russe, il n’était de toute façon pas concevable que les choses aillent dans une autre direction vu la nature continentale de la puissance russe.


Mais cette fois-ci, la Russie veut jouer les avantages donnés par une organisation internationale à but économique sans avoir à supporter la charge de gouverner les anciennes Républiques soviétiques. La Russie semble donc uniquement intéressée par les affaires. C’est en tout cas le discours qu’elle tient. Car dans les faits, la Russie soutient tout de même des gouvernements nationaux qui lui sont favorables et exporte son modèle. Si pendant la période soviétique l’URSS avait pour but d’exporter la socialisme afin de mener une révolution ouvrière mondiale (et donc de fait exporter son modèle de dictature communiste) la Russie moderne soutient la création ou le maintien de régimes kléptocratiques construits à son image, avec une verticale du pouvoir très forte. Ainsi, comme on l’a vu au cours de l’année 2020-2021 Poutine n’a pas hésité à soutenir financièrement et politiquement la dictature d’Alexandre Loukachekno en Biélorussie. De même, la Russie maintient des liens proches avec la dictature du clan Nazarbaev au Kazakhstan. Cet élément est important pour comprendre l’infiltration russe dans certaines des ex-Républiques en vue d’influer sur leur processus décisionnel. Le contrôle de l’UEE de la Russie ne peut donc en être que facilité.


Les théoriciens de l’intégration (et notamment Fritz Scharpf) ont souvent dénoncé l’intergouvernementalisme comme étant un frein à l’intégration à cause des intérêts des Etats à refuser l’intégration. Si ce propos est critiquable au vu de l’expérience européenne, l’UEE peut montrer qu’on peut dépasser les blocages institutionnels si on négocie en aval. Vu que les gouvernements des Etats de l’UEE sont plus ou moins acquis à la volonté russe, ils sont obligés en quelque sorte de faciliter la réalisation des desseins du pouvoir russe. De plus, si des auteurs considèrent que la forme fédérale créait des résultats suboptimaux à cause justement de la nature négociée des solutions et des décisions (ou encore des marchandages entre les acteurs), la Russie a réussi à exporter son modèle de verticale du pouvoir fédéral interne (car les régions fédérées de la Russie son sous la coupe du Kremlin) à l’ensemble de l’UEE. Ainsi, et une fois de plus, malgré les apparences, l’UEE se rapproche plus du système d’intégration verticale de l’Empire russe ou de l’URSS que de l’UE (même si cela se voit moins).


Mais rien ne prouve l’influence de la Russie dans l’UEE plus que son poids. La Russie représente bien plus de la moitié de la population de l’espace de l’UEE (145 millions d’habitants sur 173 pour l’ensemble de l’UEE). Son PIB écrase également de loin les autres acteurs de la Région (1,7 milliards de dollars sur 1,9 pour l’ensemble de l’UEE). La Russie a aussi fait en sorte que le secteur des hydrocarbures soit exclu du champ des compétences de l’UEE. Ainsi ses voisins sont obligés de négocier de manière bilatérale avec la Russie pour ce marché où la Russie est le joueur principal de la région et un des grands joueurs mondiaux. Ainsi la Russie dicte en réalité ses conditions.


Une des raisons qui a poussé la Russie sur le chemin de la création de l’UEE fut d’ailleurs non seulement le rétablissement de son ancienne sphère d’influence, mais aussi une forme de résistance face aux autres ensembles régionaux. Ainsi via l’UEE la Russie veut éviter l’avancée de la politique de voisinage de l’UE dans son “étranger proche” ainsi que les velléités impériales de la Chine dans l’extrême orient et notamment son projet des “nouvelles routes de la soie”.


On ne peut de fait concevoir l’UEE sans comprendre en quoi elle est une manifestation de la politique étrangère russe et de ses besoins stratégiques. Même le moment de la création de l'organisation n’est pas anodin : celle-ci survient après la crise de 2008 qui a fortement atteint la Russie. Les négociations ont en effet commencé sous la présidence Medvedev pour amener à l’Union Douanière en 2012 et enfin l’UEE en 2014.


Mais le revers de la médaille est bien sûr le fait que les mêmes causes amènent les mêmes effets et nous allons justement étudier maintenant le poids qu’a la politique étrangère russe dans le développement de l’UEE ainsi que les résistances posées par ses Etats-membres.


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